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en tete tome 3

 

 

Fille
de joie

Tome 3

          Mylène a plié sous le poids de la pression scolaire et familiale. Elle a abandonné ses études de médecine et quitté la maison de ses parents, pour se lancer dans une licence d’anglais et vivre seule. C’est dans ce contexte que lui viennent de nouveaux questionnements et une idée inattendue, qu’elle envisage de plus en plus sérieusement, avant de la mettre en application un an plus tard. “Je l'aurais peut-être pas fait si j'avais été dans une situation plus stable. C'était un peu chaotique dans ma vie, je savais pas trop où j'allais, je me sentais à la dérive parce que j'étais pas dans une situation où je savais où j'étais, j'étais perdue, et je me suis dit : ‘J’ai rien à y perdre. Si je veux savoir, si je veux avoir ces réponses, il faut que je le vive et je suis dans les conditions pour le faire : j'ai l'âge, le sexe qu'il faut pour’.” Elle veut tester l’expérience de la prostitution.

Être une femme

Outre le caractère quasi scientifique de l’expérimentation, Mylène y voit l’occasion d’éclaircir des zones d’ombre, d’aller sur un nouveau terrain. Adolescente, elle avait complètement mis la sexualité sous le tapis, n’arrivant pas à exprimer cette partie d’elle-même. Elle n’était pas prête à explorer l’intimité, la relation avec une autre personne, et a préféré remettre cette étape à plus tard, pour la découvrir autrement qu’au sein du couple. 

 

 

“La sexualité ne me semblait pas aller de soi, je trouvais que c'était une question difficile et la prostitution a constitué un chemin de traverse où la sexualité était plus codifiée, mise dans un cadre et c'était plus clair.”

 

 

Autres motivations : des interrogations personnelles et profondes à propos de la féminité, un concept qui la concerne mais lui échappe. “Qu’est-ce que ça veut dire en tant que concept incarné chez moi, quelle est ma place dans la société, comment je me situe par rapport à ça ? Comment je peux être une personne sans être réduite à une case enfermante, à une femme, ou à une femme homosexuelle ?” Les quelques relations hétérosexuelles qu’elle a eu avant lui ont semblé ambivalentes, pas claires, sans qu’elle puisse expliquer pourquoi. Ce qui est sûr, c’est qu’elle les a mal vécues :

 

 

“J’avais eu l’impression, et ça peut paraître paradoxal, que j’avais été un peu prostituée dans un sens négatif, que je m’étais souillée sans
en avoir rien retiré.”

 

 

“Pourquoi j’avais fait ça ? J’étais pas maître de ce qui m’était arrivé et j’avais l’envie de reprendre le contrôle par rapport à ça.” Si elle n’avait pas été lesbienne, elle n’aurait peut-être pas pu se prostituer. Pour elle, c’est probablement l’un des facteurs qui font qu’elle a réussi à maintenir la distance nécessaire par rapport aux clients, des hommes dans 99% des cas. “Ainsi, j’ai pu emprunter des chemins par lesquels j’avais besoin de passer”, en toute autonomie.

liberté

          Mylène s’inscrit sur des sites d’escorts, en général non domiciliés en France où la législation ne le permet pas. Elle apprécie la liberté que procurent ces plateformes de mise en relation entre prostituées et clients, se prénomme tantôt Emma, tantôt Mona, indique ses disponibilités, le moyen de la contacter, le lieu où elle souhaite rencontrer le client, le type de pratiques qu’elle accepte ou pas.

Son propre entrepreneur

“On se retrouve dans une situation où on n'est pas à la merci du client qui vient, ce qu'est l'imaginaire commun de la prostitution : c'est-à-dire que la prostituée est là, à son coin de rue, le client passe et elle se soumet à qui veut bien, et sinon elle s'emmerde un peu dans son coin, elle n'a rien à faire parce qu'elle attend le client.” Mylène déconstruit cette idée reçue : sur Internet, il y a bien plus de demandes que d’offres, les prostitué-es peuvent donc avoir la main et décider de ce qu’ils ou elles veulent.

 

Elle apprécie particulièrement cette possibilité de poser ses conditions, de refuser un client qui les rejette, de décider du prix, de pouvoir, “s'il y avait quelqu'un qui essayait de négocier, lui fermer la porte, mais le faire par à nouveau un acte émancipateur, c'est-à-dire ‘j'ai mes limites et tu les respectes ou bien ce sera pas possible’, et ça c’était important”. À partir du moment où elle retire son annonce, les sollicitations disparaissent. Facile, donc, de décider d’arrêter à tout moment. “Mais ça, ça ne concerne que moi”, nuance-t-elle.

 

 

“J’ai pu le faire parce que j’étais pas contrainte par des nécessités matérielles qui font que beaucoup de personnes ne peuvent pas
se permettre de dire non si elles ont
vraiment besoin de ce fric-là.”

 

 

Lorsqu’un client la contacte, tout se passe par téléphone. C’est au cours de cet échange qu’elle examine et décide si la relation se concrétisera ou non. “J'aimais bien entendre la voix des gens, je pense qu'il y a beaucoup de choses qui passent par la voix”, me dévoile-t-elle. Elle ne se satisfait pas d’un appel : il en faut plusieurs pour qu’elle prenne confiance, quitte à dire non au bout du troisième. “Mes sens devaient être en alerte sur les propos, la manière dont les gens se présentent, s'ils respectent ou pas ce qu'on dit, s'ils veulent pousser les choses. C'est des éléments importants du caractère de la personne.” L’intuition joue également un rôle dans la prise de décision finale qui élimine certains clients et en sélectionne d’autres.

Profil type

Mylène se rend rarement chez ses clients. La plupart du temps, ils choisissent l’hôtel, un cadre neutre où aucune des deux parties ne se retrouve en position de supériorité par rapport à l’autre, et qui offre une certaine discrétion. “Par prudence aussi, je n’étais pas à l’aise sur le fait de donner mon adresse, et en face c’était la même chose : tout comme je ne sais pas sur qui je tombe, le client non plus ne sait pas sur qui il va tomber.” Si elle se souvient bien d’un sentiment juste avant la première rencontre, c’est ce mélange d’appréhension et d’excitation, “le plaisir de la découverte qui donne un p’tit côté aventure”.

intimité

          À l’encontre de ce qu’on pourrait croire quand on pense à la prostitution, Mylène ne couche pas toujours avec ses clients. Elle n’est pas payée à l’acte, mais au temps. “Donc qu'on passe ce temps-là à discuter ou à avoir un rapport sexuel ou à boire du champagne, ça change rien pour moi : je suis la même, c'est un échange avant tout, une rencontre entre deux personnes.”

 

Elle aime la beauté du contact humain, qu’il ne se réduise pas au sexuel, mais qu’il intègre la sexualité comme élément révélateur d’un homme, “par exemple de la manière dont il voit l’intimité, les rapports hommes-femmes, le couple, les relations humaines d’une manière générale”. Les clients, eux aussi, désirent la plupart du temps autre chose ou plus que du sexe. “Certains hommes mariés, par exemple, ne parviennent plus à entretenir une intimité avec la personne qu’ils ont dans leur lit”, m’explique Mylène, “ils cherchent une sphère de liberté, où ils peuvent dire :

 

 

‘Il y a quelque chose que j'ai en moi, un fantasme, un truc que j'arrive pas à vivre dans ma propre vie parce qu'il y a de la honte, et donc toi je

t'en parle. Je te connais pas, on est dans

un cadre clair et hors des conventions sociales,

de dynamique familiale où je pourrais pas

parler de ça, j'ai envie de parler.’

 

 

Et y a des trucs qui sortent.” Ces trucs qui sortent, ce sont souvent une solitude, un manque d’intimité, qui ont autant besoin d’être comblés qu’exprimés. Ça arrive donc souvent que le sexe ne soit pas le centre de la rencontre. De ces rapports inédits se créent des relations : Mylène a ses clients réguliers et craint le moment où certains souhaiteront passer à l’étape supérieure. Tandis qu’elle est très claire sur les limites de la relation, le client s’attache.

Faire la pute

Elle me lit le SMS d’un client qui voulait plus et le commente.


“J'avais retiré mon annonce. C'est assez drôle, il me dit :

 - Merci d'avoir retiré ton annonce.

 - comme si c'était une faveur que je lui faisais... Ça c'est les hommes, ils sont persuadés qu'ils sont le centre du monde, chaque client que tu vois peut très bien se convaincre qu'il n’y a que lui et que t'as jamais vu personne d'autre.

 - Je n'aimais pas te savoir assimilée à celles qui font commerce de leurs charmes, même si nous nous sommes rencontrés de cette façon.

 - petite connotation morale quand même là

 - Pour ton adresse, je ne comprends pas ta position, tu connais mon adresse, pourquoi ne connaîtrais-je pas la tienne ?

 - il m'avait demandé mon adresse, je lui ai dit ‘va te faire foutre’

 - Ne t'inquiète pas, je ne te dérangerai jamais, j'espère que tu as confiance en moi. Pour l'enveloppe,

 - parce qu'il disait ‘roh l'enveloppe ça me gêne’

 - je ne veux plus avoir avec toi de relation tarifée. J'espère que pour toi comme pour moi nous avons dépassé ce stade. Je peux t'offrir beaucoup plus que simplement de l'argent. Je te ferai des cadeaux de temps en temps, je te dépannerai si tu en as besoin, je te donnerai du temps, de l'amour, de l'attention, de la douceur, de la tendresse… Si tu veux que nous parlions de ce que je viens de t'écrire, dis-le moi. À très bientôt, je t'embrasse tout tendrement. Ton Greg.

 

J'avais déjà retiré mon annonce mais il continuait à m'envoyer des messages. J'ai jamais répondu, là j'aurais été clairement privée de ma liberté, parce que je serais devenue sa maîtresse. Et c'est aussi une histoire de vouloir posséder la personne, ça fait clairement partie des effets de la domination masculine et du patriarcat, qui sont diffusés très largement dans notre société. Je pense que ça peut se faire d'une manière assez sourde, ces injonctions ‘t'es ma propriété’, ‘t’es ma meuf’, mais c’est pas un truc qui va dans les deux sens.”

criminelle

          Malgré ces quelques écarts, Mylène ne regrette pas son expérience prostitutionnelle, qui durera en tout près d’un an. “Ça m’a apporté des éléments pour penser à des choses que j’avais pas envisagées avant, ça a affiné ma compréhension de ce que pouvaient être le patriarcat, les déviances sexuelles, beaucoup de choses qu’on évoque sans forcément se rendre compte à quoi ça correspond dans la vie de tous les jours au sein des couples.”

 

Elle a beaucoup appris, obtenu des réponses à ses questionnements, se sent plus en phase qu’avant d’être passée par ce chemin. Elle me rappelle à quel point elle a réussi à faire ce qu’elle souhaitait avec une très grande autonomie, et toujours dans ses propres termes. Cette aventure, elle la garde comme une expérience à penser, qui informe sa position sur la prostitution en tant qu’objet et sujet de société.

 

“Je pense qu'à un moment je suis arrivée à
un point où j'ai senti que j'avais fait le tour de la question et que je pouvais partir, mais sans considérer ça comme une période honteuse.
C'est encore trop souvent ce qu'on entend, alors que j'ai pas envie de m'en cacher.”

 

La seule personne au courant de ses activités était sa meilleure amie. Non pas que l’ancienne prostituée tenait à les dissimuler, mais parce qu’elle ne côtoyait pas beaucoup de gens à l’époque. Elle n’a pas non plus dû mener de double vie : ses rendez-vous étaient trop peu fréquents pour influencer considérablement son quotidien.

Implication émotionnelle

Mylène aurait souhaité que cette histoire se termine ainsi : “Quand j'avais fait le tour, de me dire ‘bon, j'arrête, je passe à autre chose, j'en ai plus besoin. Ça m'a apporté ce que j'attendais, je relève l'interrupteur, j'éteins la lumière, je ferme la porte’.” Mais elle a pris un tout autre tournant. “Il y a vraiment eu une situation particulière qui a conduit à cette chose qui a craqué en moi. Ça a été déclenché par une situation extérieure que j'ai pas su gérer d'une manière plus positive. C'était pas inéluctable, j'ai eu des périodes où j'étais plus fragile que d'autres : ça a peut-être été le deuxième moment de ma vie où c'était plus possible, où je voyais les choses d'une manière très noire, sans avoir vraiment de perspective pour m'en sortir. J'ai voulu reprendre le contrôle d'une manière problématique. Plus que problématique, parce que ça devient d'une manière criminelle. Dans cette situation, j'ai pas senti que j'avais d'autre choix pour continuer à vivre.”

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Tome 2 - Bonjour jeunesse

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Tome 4 - Ciel barbelé

 

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Vous venez d'ouvrir le tome 3, récit de l'expérience de prostitution de Mylène. 

 

Pour comprendre son histoire, le texte et les vidéos sont indispensables. 

 

Bonne lecture !

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