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en tete tome 4

 

 

Ciel barbelé

Tome 4

          Mylène a fini par craquer. “Une déflagration”, me décrit-elle. Dans la chambre d’hôtel qu’elle occupait avec un de ses habitués, elle a poignardé son client. Avant d’appeler les secours et d’être embarquée au commissariat. “Après cette expérience-là, j'ai eu vraiment l'impression qu'il y avait un rideau qui se déchirait et qu'il y avait de la lumière qui était mise sur quelque chose qui n'aurait jamais dû être mis en lumière.” Ses proches apprennent à ce moment-là qu’elle se prostituait, ils sont effondrés. Impossible d’assumer devant eux ce qui vient de se passer, un drame de l’ordre de l’inimaginable.

 

 

“J’ai complètement coupé les ponts, j’avais pas envie d’en entendre parler. J’étais déjà dans une situation difficile, je voulais pas non plus avoir à me préoccuper de comment eux
vivaient ça.”

 

 

Cet éloignement durera près d’un an et demi, un temps long mais nécessaire à sa reconstruction, pour laquelle des jeux de relations ou d’influence familiale ne doivent pas interférer. “Ça devait me permettre de faire une tabula rasa, d’essayer de reprendre les choses à la racine pour savoir où ça avait merdé”, m’éclaire-t-elle. À sa demande, sa famille ne viendra jamais la visiter en prison. S’ils lui écrivent des lettres, elle ne leur répondra que très tardivement, vers la fin de sa détention. “À partir du moment où on reçoit un courrier, on peut choisir d’y répondre ou pas, se dire ‘peut-être que je répondrai un moment quand je serai prête, mais pour l’instant je laisse ça de côté’.” Pendant longtemps, elle ne recevra aucune visite au parloir.

 

Dès le soir du drame, les procédures judiciaires commencent, et avec elles, la médiatisation de l’affaire. Policiers et journalistes n’en reviennent pas quand ils découvrent l’auteure des faits. “Les gens étaient surpris en me voyant : j’avais pas le profil.”

Questionnaire à choix multiples

Blessée physiquement et très fragile psychologiquement, elle supporte mal les conditions de garde à vue. Sans s’apitoyer sur son sort, ce qu’elle juge indécent par rapport à la victime, elle me raconte ces premières heures : “C’était très difficile d’être interrogée à des moments arbitraires au milieu de la nuit, le matin tôt, sans qu’on se rende compte de quand est le jour, quand est la nuit. Je demandais aux officiers de police quelle heure il était, j’avais aucune idée. La nuit, y avait du bruit tout le temps, des alcoolos qui étaient là juste pour décuver.” Son état lui permet à peine de s’exprimer clairement, mais on persiste à l’interroger. Ses déclarations sont retranscrites sur les procès verbaux et la suivront pendant toute l’instruction. Après 24 heures de garde à vue, une première expertise psychiatrique est réalisée.

monde parallèle

          Mylène est transférée au centre psychothérapique de Nancy pour dix jours. Au début, elle est mise en isolement. Plusieurs psychiatres l’examinent, tous différents, chargés d’évaluer son aptitude à sortir de l’isolement pour côtoyer les autres patients du service. “En fait, ils étaient en train de mesurer mon niveau de dangerosité. Les premières fois c’est pas passé, au bout d’un moment il y en a un qui a décidé que le niveau était suffisamment bas pour que je puisse aller avec les autres personnes sans risquer de leur faire du mal.” À eux, ou à elle-même : les deux risques sont toujours mis en parallèle, alors qu’elle n’a jamais montré de comportement suicidaire. Elle n’a droit à aucune distraction, insiste pour avoir Pierre et Jean, finit par pouvoir le lire, sort de l’isolement au bout de cinq jours.

 

“Ensuite, j’ai retrouvé un peu de contacts humains avec d’autres personnes à qui je pouvais adresser la parole, avec qui faire des mots croisés, manger... essayer de sortir de cet état de torpeur qui m’avait secouée pendant toutes ces journées-là où je dormais pas, ou alors quand je dormais je faisais des cauchemars.” Petit à petit, elle retrouve presque son état normal, devient à peu près stable psychiquement. On décide sa sortie de l’asile, pour l’incarcérer au centre pénitentiaire de Maxéville. “Et là, l'incarcération vous plonge dans un univers complètement différent, un univers que je ne connaissais pas, avec ses codes... c'était un monde parallèle.”

Une prison dans la prison

Pour supporter l’isolement, sa petite radio lui est précieuse. Grâce à elle, Mylène se sent appartenir au monde. Bien sûr, les bouquins occupent une place primordiale dans son quotidien. “C'est une constante dans ma vie, les livres ont toujours été un refuge depuis que je suis toute petite.” Elle tient à continuer les études de philo qu’elle avait entamées trois mois avant le drame. C’est un homme qui l’y pousse, et pas n’importe qui.

 

 

“C’était un collègue de mon père à l'époque où ces derniers étaient les profs de la prison
Charles III, qui préparaient les détenus à des diplômes divers. Il s’occupait aussi de la fabrication du journal de la prison où j’étais.”

 

 

Il entretiendra continuellement la motivation de Mylène à poursuivre ses études, jusqu’à ce qu’elle décroche son diplôme, en prison toujours. En mai 2013, soit cinq mois après le début de sa détention, elle retrouve des visages familiers : certains de ses enseignants de la fac de lettres de Nancy viennent lui faire passer les oraux dans sa cellule. “J’ai vu des professeurs uniquement pour les examens. Sinon, c’étaient des cours qui m’étaient donnés, que je travaillais par moi-même. Là, par contre, je voyais plus personne.”

Le récit de sa perception du temps lui fait penser au livre de Philippe Claudel, Le bruit des trousseaux, qui dépeint fidèlement son expérience sensitive. “C’est un élément marquant, t’entends toujours le bruit des clés et des verrous parce que c’est constant. Et puis le bruit du vent dans les barbelés, on s’y habitue pas, ça siffle, c’est strident, et la nuit c’est tout le temps, tout le temps, tout le temps.” Le jour, elle guette le soleil en quête d’un rayon qui viendrait illuminer sa cellule sombre. Ou pour deviner l’heure, puisqu’elle n’a pas de montre. Si sa radio lui donne une indication temporelle, elle n’est pas totalement fiable non plus. “Ça arrivait qu’il y ait des coupures de courant et qu’elle ne marche plus. Là, j’étais complètement isolée.”

Routines

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affronter les autres

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          Seul contact humain qui lui reste alors : le courrier. “J’ai revu toutes les lettres que j’avais classées… un bon paquet !”, s’exclame-t-elle. Elle m’apprend au passage que les détenus s’écrivent beaucoup entre eux, qu’ils se connaissent ou pas. Elle reçoit souvent du “courrier de fans, c’est-à-dire de détenus qui avaient du temps à perdre, et il y avait un côté ‘vieux cochon qui se fait des films’ déplaisant donc je jetais quasiment tout”. Faire circuler des lettres n’est pas interdit : il suffit de les mettre dans la boîte du courrier interne à la prison, spécifier le bâtiment et le numéro d’écrou ou simplement le nom du destinataire. En revanche, tout est contrôlé. L’absence de vie privée a frappé Mylène.

 

 

“Les lettres, tu peux pas les fermer, sauf si t’écris à ton avocat ou à l’OIP, l’Observatoire international des prisons. Sinon, tous les autres courriers tu les fermes pas, ils sont lus, et ceux qui arrivent vers toi sont ouverts et lus.
Les conversations au téléphone sont susceptibles d’être écoutées, les parloirs peuvent aussi être écoutés et enregistrés.”

 

 

Mylène sort enfin de l’isolement, au bout d’un an et demi. Un temps nécessaire pour se reconstruire et se préparer à affronter la détention avec les autres prisonnières. “En prison, les codes sont pas les mêmes qu’à l’extérieur, on parle pas de la même façon en prison qu’au Ritz. Il fallait que j’aie la force mentale de vivre cette détention-là, sans me faire manger, sans être complètement happée.” Si elle avait été dans l’état de faiblesse dans lequel elle est arrivée en entrant au centre pénitentiaire, elle en est persuadée, “ça aurait été une expérience catastrophique”. Au départ, l’isolement n’est prononcé que pour trois mois maximum. Tous les trois mois, elle prolonge la durée, par crainte de ce qui l’attend au-delà de sa cellule.


“J'avais peur de sortir, parce que je sortais pas pour retrouver la vie que j'avais connue avant, je sortais pour aller dans l'univers carcéral, dont j'avais très bien conscience que j'étais pas dans le moule du détenu type, qu'il fallait encore une fois que je trace ma route, que je décide de ce que j'acceptais, de ce que j'acceptais pas, des limites que je posais face à l'illégalité dans la prison : quand fermer les yeux, quand mettre mon poing sur la table et dire ‘vous me marcherez pas sur les pieds’. J’ai fini par sortir parce qu'on m'a dit qu'il fallait peut-être. Et j’ai pensé ‘bon, d'accord, je peux peut-être affronter les autres maintenant’.”

Quartier femmes

La détention en commun ne lui déplaît pas. Grâce à son statut de bibliothécaire, Mylène n’est pas mise à l’écart, rencontre de nouvelles personnes, dont deux qui deviendront ses amis. La première est une femme, incarcérée pour avoir répliqué très violemment aux coups de son mari. La deuxième est un homme qu’elle a connu à la formation bibliothécaire de la prison. Il lui écrit beaucoup, elle lui répond autant, il se débrouille pour lui offrir discrètement un CD à Noël.


“C’est vraiment des gens que je considère comme des amis, au même titre exactement que des personnes que je connais depuis ma sortie ou que j’ai connues avant et que je continue à voir.” Mylène côtoie régulièrement la première, libre depuis peu, et attend avec impatience la sortie du deuxième. “On s’écrit encore, je n’ai malheureusement pas pu le voir la dernière fois qu’il a eu une permission acceptée.” La seule autorisation de sortie qu’elle ait eue, c’est pour se rendre aux obsèques de son grand-père, en janvier 2015. Une journée étrange et émouvante, à l’occasion de laquelle elle revoit sa famille pour la première fois en deux ans.

 

Outre ses co-détenus qu’elle croise à la bibliothèque, elle a rendez-vous toutes les semaines avec des personnels médicaux en charge de sa psychothérapie. “J’avais trois intervenants différents : un psychologue, une psychiatre que je voyais plus rarement, à peu près une fois par mois, et une infirmière psy.” Ce travail sur elle-même, accompagné par des personnes en qui elle a confiance, lui permet d’extérioriser ses malaises, de se libérer de l’étouffement qu’elle a souvent ressenti, de remonter la pente.

 

 

“Sans ça, j’aurais pas pu réaliser cet effort de reconstruction. Ça m’a vraiment sauvée. Ma foi m’a beaucoup aidée aussi.”

 

 

Elle découvre la spiritualité après une année d’incarcération, lisant la Bible et se posant des questions auxquelles elle n’a pas pensé depuis son enfance. Elle avait fait sa profession de foi au collège, puis refusé la confirmation à l’âge où on la fait traditionnellement, considérant la chrétienté comme aberrante et passant à une posture athée. L’incarcération lui donne l’occasion, le temps et la quiétude pour y revenir et réfléchir.


“Ça m’obsédait. Je me demandais : quelles sont nos responsabilités en tant qu’homme, que fait-on de notre place dans le monde, qu’est-ce que je veux faire de mon passage sur Terre ?” Grâce à son bagage philosophique, Mylène détient les clés pour examiner et approfondir ces problèmes. Une semaine avant sa sortie sèche, c’est-à-dire sa libération définitive, elle fait sa confirmation. “C’était en prison que j’avais eu ce moment de retour à la foi. Donc, au niveau du symbole, c’était pas mal d’être confirmée avant de sortir, et que ça me porte après pour la suite.”

en sursis

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          Le 14 mai 2015, Mylène quitte la prison pour de bon. Une date dont elle ne peut que se souvenir : “à un jour près, je suis sortie exactement dix ans après le décès de mon père”. Lors de son procès en juillet 2014, elle avait été condamnée à cinq ans de détention, dont 18 mois avec sursis. Grâce aux remises de peine pour bonne conduite, elle sera restée enfermée deux ans et demi au total. La liberté retrouvée n’est pas aussi jouissive qu’espéré, elle ne retrouve pas sa vie d’autrefois et connaît quelques soucis dès le début.


“Retourner vivre chez ma mère, c’était pas un super bon calcul”, énonce-t-elle. Les relations mère-fille ont souvent été difficiles de manière récurrente par le passé, et les derniers événements dans la vie de Mylène n’ont rien arrangé. La jeune femme peine à trouver un nouveau psychologue, et ne va pas très bien en conséquence. Mais elle veut rattraper le temps perdu, et se lance corps et âme dans de nombreux projets.

En piste

Elle participe à deux émissions de radio avec le Génépi, une association qui prépare la réinsertion des détenus, et Debout, un collectif féministe. “C’est dommage, Fajet et RCN n’archivent pas leurs podcasts, ou seulement pour un temps limité”, regrette-t-elle quand je lui demande si je peux les écouter quelque part. “Les thèmes, c’étaient la prostitution, la culture et l’école en prison, le féminisme…” Des sujets à propos desquels elle peut désormais témoigner.


“Ma vie dans la cité, je l’ai reprise étape par étape, palier par palier. Ça a été difficile, un long processus qui m’a pris du temps. Je suis sortie en mai 2015, on est en janvier 2017, ça fait un an et demi. J’ai pris une bonne année avant de me sentir pleinement libre. Longtemps, je me suis sentie en sursis. Les gens ne comprennent pas forcément ce qu’on vit, ils pensent à tort… que quand on est sorti, on est sorti.”

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Tome 3 - Fille de joie

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Épilogue

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Vous venez d'ouvrir le tome 4, récit de l'incarcération de Mylène. 

 

Pour comprendre son histoire, le texte et les vidéos sont indispensables. Les photos et objets à droite de l'écran le sont moins : ils complètent ou illustrent ce qu'elle raconte.

 

N'hésitez pas à parcourir les cahiers et albums photos : ils recèlent des descriptions sonores.

 

Bonne lecture !

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